Terminée l’éternelle opposition entre l’entreprise et la société civile ! Consommateurs, salariés, autorités publiques et ONG ont conduit les entreprises à prendre conscience de leur rôle sociétal. Signe de ce bouleversement, accentué par la crise sanitaire : l’émergence des Directions de l’Engagement.
Ces directions, souvent très proches des directions générales, semblent couvrir plusieurs fonctions : à la fois RSE, mécénat, ancrage territorial et même parfois RH… Mais qu’apporte cette fonction nouvelle ?

Adrienne Horel-Pagès, directrice de l’engagement citoyen de La Banque Postale, et Maylis Danne, directrice Talents et Engagement chez Nestlé, étaient invitées lors du dernier Salon Produrable à un atelier dédié animé par Youmatter. Pour mieux comprendre l’émergence et le rôle de ces directions, revenons sur ces précieux témoignages.
Consomm’acteurs et collabor’acteurs, un mouvement historique
L’acte d’achat ne se réduit plus à acquérir un bien pour satisfaire un besoin, il est devenu un geste responsable. Le consom’acteur est attentif à l’empreinte environnementale et sociétale du produit qu’il s’apprête à mettre dans son panier. Il est soucieux de ce qui se cache derrière les marques : leur impact sur la santé ou la planète, la façon dont elles s’occupent de leurs collaborateurs, de leurs fournisseurs, etc. De la même manière, le collabor’acteur ne souhaite plus seulement avoir un poste et tenir une fonction, il veut « faire sa part ».
Plusieurs enquêtes montrent que le niveau de rémunération ou le prestige de l’entreprise ne sont plus les seuls critères des candidats à l’embauche. Ils cherchent aussi un travail qui a du sens et essaient d’évaluer le niveau de transparence de l’entreprise. Selon une récente étude Ipsos, 83% des salariés considèrent qu’il est important que leur entreprise soutienne des causes d’intérêt général. Aussi, 85% estiment qu’il est capital qu’elle leur permette de se sentir utiles aux autres.
Plus étonnant encore, d’après une étude Edelman menée en 2021, 67% des Français attendent des dirigeants d’entreprise qu’ils s’impliquent publiquement dans la gestion des problèmes de la société.
Le consommateur n’achète plus une marque… mais toute l’entreprise qui va avec !
Maylis Danne, directrice Talents et Engagement chez Nestlé
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Un cadre juridique qui favorise son émergence
Par ailleurs, depuis la loi Pacte de 2019 qui introduit dans le droit français la qualité de société à mission, le rôle de régulateur des pouvoirs publics est devenu indéniable. Ils ont doté les entreprises d’un cadre légal pour se restructurer et permettre à la société civile de poser un nouveau regard sur leurs actions. Les entreprises volontaires peuvent définir leur mission pour le bien commun ainsi que des objectifs sociaux et environnementaux à poursuivre. Les entreprises ne doivent plus être perçues comme le problème mais comme la solution !
Ainsi, sous l’effet conjugué d’un éveil des consciences et de l’apparition d’outils juridiques ou économiques adaptés, on a vu éclore des départements d’un genre nouveau pour s’emparer de ces sujets cruciaux : les Directions de l’Engagement. Une métamorphose qui représente un vrai changement de paradigme.
Il y a 12 ans, quand j’ai fondé microDON, il y avait un mécénat très vertical. L’essor de la RSE au cœur des structures a ensuite multiplié les actions d’ordre environnemental et sociétal, articulées autour des fondations d’entreprise, d’opérations ponctuelles de communication, ou de dispositifs RH permis par exemple par la loi Mathys de 2014… Face à cette fragmentation, c’était très complexe, pour les acteurs de l’écosystème de l’engagement citoyen comme nous, de trouver le bon interlocuteur. Bonne nouvelle, aujourd’hui, ces Directions de l’Engagement s’apparentent à des guichets uniques, cela crée une dynamique sans précédent !
Pierre-Emmanuel Grange, fondateur de microDON
Direction de l’Engagement : périmètres d’action et ambitions… un large champ des possibles
L’émergence des Directions de l’Engagement au sein des entreprises traduit un vrai changement de paradigme. D’une pratique empirique à une intégration au sein des statuts de l’entreprise, la notion même de l’engagement couvre un spectre très large d’actions… À travers deux exemples, explorons la variété des attributions, des missions et des structures de ces nouvelles Directions.
Nestlé : les responsabilités environnementale et sociétale, deux enjeux complémentaires
Nestlé possédait depuis longtemps une Direction CSV (Creating Shared Value – Création de Valeur Partagée) en charge de tous les enjeux environnementaux de l’entreprise. Elle était à la fois tenue par une feuille de route « Climat » et « Sustain availability ». La dimension écologique était donc prise en compte par cette direction… En revanche, du côté RH, rien !
En 2018, la Direction Attraction des talents et Développement des carrières devient la Direction Talents et Engagement avec un pôle Expérience collaborateurs uniquement dédié aux thématiques d’engagement. Depuis, elle décline son action en trois volets.
- L’écoute des salariés à travers des dispositifs d’enquête réguliers pour connaître leurs ressentis et agir.
- L’amélioration de leurs conditions de travail pour viser qualité et leadership par la confiance.
- La création de communautés de collaborateurs. Cette initiative vise à les associer aux choix stratégiques des projets environnementaux et sociétaux menés par l’entreprise.
Du fait de l’urgence de la situation, les entreprises se structurent vite – quelle qu’en soit la manière – et se dotent de vrais moyens humains et financiers à travers leur nouvelle Direction de l’Engagement.
Maylis Danne, directrice Talents et Engagement chez Nestlé
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La Banque Postale : une montée en puissance, au plus haut niveau de la gouvernance
Du côté de La Banque Postale, la Direction de l’Engagement est directement rattachée au président du directoire, c’est dire l’importance de sa place dans la gouvernance. En sus de la traditionnelle philanthropie assurée par la Fondation qui est sous sa coupe, le groupe articule sa mission autour de trois pôles majeurs.
- L’offre clients, qui a été totalement repensée. Non content de développer une offre citoyenne à ses clients (Prêt Vert pour les collectivités locales, fonds d’investissement socialement responsables, etc.), son objectif est de travailler à l’éco-conception de tous les produits à travers un label interne qui définit des critères extra-financiers pour l’ensemble de ses offres.
- Ses engagements forts envers la société civile. La Banque Postale a promis d’atteindre la neutralité carbone en 2040, soit 10 ans avant la date fixée dans l’Accord de Paris. La Direction s’attache donc ardemment à définir une trajectoire, fixer les étapes, piloter les démarches scientifiquement validées, gérer les moyens, rendre compte de manière transparente et pédagogique… pour mettre en œuvre cet ambitieux programme.
- L’implication des collaborateurs dans cette expérience citoyenne. Sur cet ultime objectif, la Direction de l’Engagement associe étroitement la DRH et microDON, passée dans le giron de la banque en tant que plateforme du groupe KissKissBankBank & Co.
Ce qui me frappe, c’est la technicité des sujets. Je pense qu’il faut très bien connaître le système pour très bien le transformer. D’où la nécessité de faire du « sur-mesure » en fonction des secteurs, des domaines. Par exemple, dans notre volonté de définir une trajectoire de neutralité carbone, il nous faut comprendre les technologies, les données scientifiques, les indicateurs d’impacts, avoir de vraies qualités d’analyse sectorielle, ce qui explique parfois la recherche de profils très pointus en matière de RSE.
Adrienne Horel-Pagès, directrice de l’engagement citoyen de La Banque Postale
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Un objectif commun : travailler à s’effacer…
À l’image des initiatives qu’elles soutiennent et qui servent à ériger des passerelles entre les hommes, les Directions de l’Engagement visent à construire ces ponts qui relient les compétences : RH, marketing, réglementaire, juridique… En travaillant de concert avec les unes et les autres, en cassant l’irrémédiable « effet silo », elles ont pour but d’infuser au cœur de toutes les Directions pour qu’un jour on cesse d’avoir besoin d’elles !
L’idée, c’est de semer ces sujets au sein de toutes les unités de l’organisation, pour qu’à terme, on n’existe plus… On travaille à s’effacer ! À moins que ne subsiste notre rôle de vigie sur les évolutions sociétales.
Adrienne Horel-Pagès, directrice de l’engagement citoyen de La Banque Postale